Vous avez dit spirituel ?

Taichi Chuan et Qi Gong sont des pratiques qui nécessitent "d’intérioriser le regard". C’est une condition sine qua non de l’art interne. Percevoir et, avec le temps, raffiner cette perception : en d’autres thermes, irriguer nos chairs de présence. Ce qui se formule par "accorder Ciel-Terre" [1].

Suivre un mouvement interne, qu’il soit spontané ou intentionnel [2], n’est possible que sous certaines conditions. Le calme, le confort, l’honnêteté avec soi-même, l’attention patiente et légère font partie des ingrédients principaux.

Au début, souvent après plusieurs tentatives, les premières perceptions de mouvements internes nous paraissent un peu extra-ordinaires car nouvelles, inaccessibles jusqu’alors. Ceci est simplement dû au fait nous ne sommes pas éduqués au sensible, au subtil, au tactile. C’est comme s’il y avait un gouffre infranchissable entre le monde extérieur et le monde intérieur, une sorte de carapace plus ou moins hermétique, plus ou moins permanente [3].

L’entraînement aux arts internes nous donne l’occasion de déposer cette armure aussi nécessaire que pesante et il paraît salutaire de renouer des liens, de temps à autre, entre notre capacité d’écoute interne et nos interactions avec l’extérieur.

Au cœur du cœur de cette "atmosphère" interne, dans laquelle nous plongeons intentionnellement, peut émerger une forme de spiritualité c’est à dire une sorte d’étonnement teinté d’admiration pour ce vécu au contact des mystères de la vie qui nous animent en permanence. Ces expériences seront perçues, interprétées, explorées et communiquées de multiples façons en fonction des personnalités de chacune et chacun d’entre nous.

Nous sommes donc très très loin d’une simple croyance qui tend à rétrécir le champ de perception en (auto)induisant des directions voire des directives mentales au lieu de laisser une ouverture se déployer sur les formes multiples du réel. Il faut toutefois reconnaître que l’adhésion à une croyance "ready-made" est bien plus confortable à suivre qu’une immersion dans l’obscurité du mystère des mystères.

[1] En énergétique chinoise, Ciel est l’image de l’insubstantiel (tous les aspects de l’esprit) alors que Terre renvoie au substantiel (l’organique). Accorder Ciel-Terre signifie imiter le modèle naturel qui montre un mode d’emploi, "une voie". Ce mode d’emploi n’est décrit nulle part. Il est le fruit de l’observation d’un individu ou d’un groupe. Dans ces conditions, l’enseignement issu de l’observation sera différent si on habite au sud, au nord à l’est à l’ouest ou au centre d’un territoire. Ciel (mental) induit, émet, alors que Terre (chairs) réceptionne et transforme. Entre les deux, Humanité (caractère, personnalité) s’exprime sur une échelle allant de la luxuriance au désertique. La qualité des ingrédients et des échanges Ciel-Terre est primordiale.

[2] La respiration "naturelle", les pulsations cardiaques, la circulation des flux vitaux sont des exemples de mouvements spontanés.
Lever un bras est un mouvement intentionnel (en dehors d’un contexte de réflexe).

[3] Cette carapace, dont la consistance varie du cocon le plus léger au blindage le plus dense, nous protège de certaines violences (dénigrements, harcèlements, nuisances relationnelles, sonores, visuelles, olfactives etc ...). Plus elle est hermétique, plus nous pensons être protégé mais les fonctions organiques continuent d’être malmenées sans que nous en ayons conscience. Il est donc nécessaire de pratiquer les arts internes dans un climat de confiance pour apprivoiser l’ouverture. La fermeture reprendra quasi automatiquement sa place tant que le quotidien sera perçu comme agressif. L’entraînement permet, avec le temps, de passer plus rapidement de la fermeture à l’ouverture et réciproquement ou de prendre des décisions, parfois difficiles, pour vivre un peu plus d’ouverture.